Les plantes tinctoriales de vos jardins et vos fossés
Texte de Stéphanie McDuff, jardinière du Jardin Arc-en-Sol et amatrice de jolies fleurs
Vous l’ignorez peut-être, mais au sein de votre jardin et dans les platebandes qui vous entourent en ville se trouvent plusieurs plantes tinctoriales. Quelles sont-elles et quelles couleurs pouvons-nous en extraire?
Qu’est-ce qu’une plante tinctoriale et la teinture végétale?
Une plante tinctoriale est une plante dont on peut extraire des pigments, qui peuvent se trouver dans les feuilles, les fleurs, les racines ou encore l'écorce.
La teinture végétale, quant à elle, est un produit fait à base de plantes, d’insectes, de lichens ou de champignons. On l’utilise pour teindre des tissus et des fils faits de matières naturelles, comme le coton, le lin, la soie ou encore la laine (de mouton, pas d’acrylique!).
Plusieurs plantes aux vertus tinctoriales poussent naturellement dans nos champs et nos fossés, et certaines sont cultivées dans vos jardins!
Les plantes tinctoriales qui nous entourent et leurs couleurs
La plupart des plantes vont donner des teintures dans les tons de jaune et de vert. Les couleurs bleu, rouge, mauve et rose sont plutôt rares dans les pigments naturels. Pendant longtemps en Europe, pour le bleu, seul le pastel des teinturiers était utilisé, jusqu’à ce qu’on importe d’Orient l’indigo. C’est d’ailleurs le bleu de pastel qui était utilisé par la royauté européenne durant la Renaissance.
Les fleurs cultivées
- Rudbeckies = jaune-orange ou jaune-vert
- Roses d’inde (ou tagètes) = jaunes, jaune-vert et oranges
- Cosmos sulfureux = orangé. En écoprint, les cosmos de différentes couleurs peuvent aussi donner d’autres teintes. Les feuilles donnent un léger vert.
- Rose trémière = vert, violet et mauve
- Camomille des teinturiers = jaune
- Coréopsis des teinturiers = jaunes, oranges et bruns rouillés
- Indigo = bleu
- Tournesol Hopi Black Dye = gris à mauve
Les plantes sauvages
- Carotte sauvage (actuellement en fleur, d’ailleurs) = jaune ou vert vif, et vert bronze ⚠️Attention : à ne pas confondre avec la ciguë
- Verge d’or = jaune vif ou vert
- Vigne vierge (les baies) = bleu-violet
- Tanaisie vulgaire = jaune, brun et noir
- Érable sycomore = (samares) beige ou brun, (écorce) noir, (feuilles) jaune et vert
- Achillée millefeuille = jaune, vert bronze, brun
- Sumac vinaigrier = beige, brun, kaki, noir
Les aliments de votre garde-manger
- Pelures d’oignon = tons jaune doré et ocres
- Curcuma = ton jaune orangé
- Thé noir = beige à brun-gris
- Pelures et noyaux d’avocat = vieux rose
Il faut bien se renseigner sur les parties de la plante qui contiennent des pigments. Il arrive, pour des arbres, que seule l'écorce puisse être utilisée. On serait alors bien malavisé de récolter un panier de feuilles!
Principales méthodes de préparation des plantes tinctoriales
- En bain
- Pour teindre entièrement un tissu ou encore une balle de laine, on peut tremper les matières, préalablement préparées, dans un bain de teinture. Ces bains sont généralement faits comme une tisane de plantes qui permet d’extraire les pigments dans l’eau.
- En impression
- La technique, aussi appelée « écoprint », consiste à préparer les tissus, presser des plantes fraîches et réchauffer le tout à la vapeur pendant environ une heure. Le résultat permet de voir la forme des fleurs et des feuilles utilisées.
Plusieurs autres recettes et méthodes existent, selon les plantes utilisées. La fermentation est parfois de mise, notamment pour les baies. Dans certaines méthodes ancestrales, on ajoutait également de l’ammoniac tiré de l’urine d’humains! D'après Paulette-Marie Sauvé, dans La teinture naturelle au Québec, l'importance des teintures aurait même mené à la création du métier de pisseur au Moyen Âge.
Résistance et durée des teintures végétales
On distingue les plantes « tachantes » des plantes tinctoriales. Par exemple, la betterave peut assurément donner dans les premiers jours un fabuleux rose-mauve aux fibres. Mais il ne durera pas. Au bout d'un certain temps, le rose disparaîtra et si on lave la fibre, il est probable qu'il ne reste, à la fin, qu'une tache jaunâtre : c'est le pigment coloré qui se trouve réellement dans la betterave.
La durabilité des teintures végétales est variable selon la méthode de préparation des fibres et de teinture, mais aussi le potentiel de chaque plante. La camomille du teinturier et les pelures d'oignon ont une meilleure durabilité à la lumière et au lavage que les coréopsis ou les œillets d'inde. La teinture de carotte sauvage devient quant à elle plus tenace après un bain de fer.
Pourquoi y a-t-il un engouement pour les teintures végétales chez certains artistes?
Il y a d’abord, bien sûr, le plaisir de la découverte! Chaque plante, chaque feuille, chaque saison apporte ses nouvelles surprises et ses couleurs. Une même variété peut donner des teintes différentes selon les plants et l’entretien qu'ils ont reçu durant la saison. S’adonner à la teinture végétale est donc une expérience souvent remplie de surprises.
Ceci dit, c’est sans doute l’impact environnemental de l’industrie de la mode qui a le plus propulsé cet intérêt chez les teinturières et teinturiers de matières naturelles.
L’industrie de la mode serait responsable de 8 à 10 % des émissions mondiales de carbone1. « Aujourd’hui, environ 80 milliards de nouvelles pièces de vêtements sont fabriqués chaque année dans le monde, soit 400 % de plus qu’il y a 20 ans. La demande mondiale en fibres est dirigée par la demande de fibres synthétiques. Le polyester représente à lui seul environ 54 % de la production mondiale totale de fibres2 ». Or, le polyester vient du pétrole.
Des mouvements comme Fibershed ( https://fibershed.org/) promeuvent donc un retour à un mode lent de fabrication de vêtement plus responsables et locaux, «de la terre vers la terre». On y encourage l’utilisation de textiles végétaux ou animaux et de teintures naturelles.
Des artistes redécouvrent des techniques anciennes et expérimentent régulièrement avec ces matières pour les remettre au goût du jour et les rendre accessibles au grand public.
Une petite recherche en ligne et en bibliothèque vous permettra d’ailleurs de trouver plusieurs tutoriels et informations précieuses si vous décidez de vous y essayer. Sachez toutefois que la teinture végétale exige plusieurs étapes de préparation, donc informez-vous bien avant de commencer votre éventuelle cueillette responsable. Ce qui ne vous empêcherait pas, bien sûr, de cultiver de jolies fleurs dans votre jardin!
Citations:
1 https://fr.davidsuzuki.org/mode-de-vie/le-cout-environnemental-de-la-mode-ephemere/
Autres références utilisées:
Marie Marquet, Guide des teintures naturelles : plantes à fleurs, édition Belin, 2022.
Paulette-Marie Sauvé, La teinture naturelle au Québec, édition de l'Aurore, 1977.
Sources des photos:
Toutes les photos ont été prises par Stéphanie McDuff, à l’exception de la photo des fleurs de carottes sauvages, tirées du site du Potager minimaliste : 4 différences entre la carotte sauvage et la cigüe.